Née en 1993, vit et travaille entre Amsterdam, Pays-Bas et Reykjavík, Islande.
Les récits que Sigrún Gyða Sveinsdóttir déploie à travers ses œuvres narrent des univers aux multiples contrastes. Le chant lyrique s’y pratique en vêtements de sports. Ces derniers combinent textiles techniques et éléments tricotés et teintés selon des savoirs-faire ancestraux. La narration s'articule en rimes, la course devient chorégraphie collective, le terrain, mais aussi la tribune se meuvent en scènes pour opéras intimes. Les sagas s’écrivent au féminin.
Dans ces univers anachroniques, quelque part entre histoire lointaine et science-fiction, la pratique sportive n’est plus synonyme de compétitivité et de performance, mais de complicité, de rapport à soi, aux autres et à l’environnement. L’équipe apparaît comme métaphore de la communauté, le vestiaire devient un safe space dans lequel se retrouver entre pairs, se ressourcer et s'entraîner pour des combats plus nobles que la compétition individualiste : ceux contre les injonctions sociales et les normes genrées, mais aussi contre le changement climatique que l’artiste érige en ennemi ultime, sorte de boss final du jeu à travers lequel elle nous guide. Si l'artiste use d'humour, il n'y a rien de dérisoire ici : rien de plus sérieux que le jeu !° Celui-ci est en effet un terrain de prédilection pour expérimenter et assimiler la vie sociale, mais aussi pour réinventer les règles et imaginer les mondes en devenir. Dans les œuvres de Sigrún Gyða Sveinsdóttir, le jeu sportif se superpose au jeu de scène, pour, dans un effet de catharsis, nous questionner sur notre propre agentivité et capacité d’agir sur le monde : « Dans le drame que nous appelons vie, nous avons toustes un rôle à jouer ». Fort heureusement, « nous sommes toustes dans la même équipe ».°°
° Johan Huizinga, Homo ludens - Essai sur la fonction sociale du jeu, Editions Gallimard, 1951
°° Sigrún Gyða Sveinsdóttir, The Corridor, 2023. Laine teintée à la main, bois et installation vidéo (14:38)
Adele Dipasquale (IT), etaïnn zwer (FR), Sigrún Gyða Sveinsdóttir (IS)
27 février 2025 18h30-21h
à Artistes en résidence, la Diode
190, bd Gustave Flaubert, Clermont-Ferrand
Sigrún. Adele. etaïnn. Trois prénoms dont la musicalité est teintée d'une douce étrangeté pour les oreilles habituées aux consonances francophones. Trois prénoms qui pourraient appartenir aux Guérillères de Monique Wittig (1), récit rythmé par des listes de noms énigmatiques et hypnotiques. Les trois artistes qui y répondent ont été accueilli·es par Artistes en résidence à Clermont-Ferrand ces dernières semaines : Sigrún est islandaise et habite à Amsterdam, Adele italienne mais vit et travaille à La Haye, et etaïnn un·e français·e ayant élu domicile à Berlin. Chacun·e, avec son bagage culturel spécifique, joue avec le langage, les sonorités, les mots, les chants, les murmures. Que ce soit la poésie du désir d'etaïnn zwer, les chants d'opéra de Sigrún Gyða Sveinsdóttir ou les voix de l'au-delà convoquées par Adele Dipasquale, toustes donnent à entendre l'inattendu, le refoulé, l'oublié, ce qui est habituellement tu ou ignoré. Iels déterrent des écrits que l'académisme tente de silencier, donnent une voix à celleux qui n'en ont pas ou plus : minorités de genre, personnes racisées ou issu·es de classes sociales défavorisées, militant·es pour le climat ou la justice sociale… . Résonnent alors à la Diode une multitude de voix alternatives, de tous temps décrédibilisées car associées à la folie, à l'irrationalité, à des altérités menaçantes. Les artistes redonnent ici toute leur puissance transformatrice aux paroles capables de penser et de dire le monde autrement. Speaking in tongues, glossolalia (2), söngur sírenanna (3), lingue di fuoco (4), magical sayings (5) et écritures inclusives se joignent en une polyphonie radicale et haute en couleurs, à même de faire trembler les fondations de la domination, de bruciare il patriarcato (6), de prendre en soin vernd hinna glötuðu vistkerfa (7). Et qui sait, leurs vocalisations aux airs de révolution se termineront peut-être en un karaoké, polyglotte, militant et joyeux.
Ce texte a été écrit par une intelligence collective.
(1) Monique Wittig, Les Guérillères, Les éditions de minuit, 1969
(2) Speaking in tongues, littéralement "parler en langues", ou glossolalia, est une vocalisation de syllabes qui ressemblent à des paroles et qui n'ont pas de sens facilement compréhensible, souvent considérées par les croyant·es comme des langues divines ou spirituelles inconnues de la personne qui s'en fait le véhicule.
(3) Islandais pour "le chant des sirènes", mythologie grecque.
(4) Italien pour "les langues de feu", mythologie chrétienne.
(5) Anglais pour "les mots magiques, les sorts".
(6) Italien pour "brûler le patriarcat".
(7) Islandais pour "la protection de nos écosystèmes dévastés".